Journal de Bord volume 3 : Tenerife
Samedi 18 octobre: Bon départ, un peu chaud, malgré le rappel de la consigne ce n’est pas une course, c’est une aventure humaine….les skippers ont du mal à se contenir. La preuve, nous hissons le spi les premiers et sommes en tête du peloton bien serré. Nous sommes à une allure portante et les catamarans nous rattrapent rapidement. Nous reprenons les quarts, le vent tombe, et ceux qui mettent le moteur nous dépasse dans la nuit.
Dimanche 19 octobre : Bonne navigation sous spi, malgré une forte houle qui oblige une surveillance permanente, soudain forte embardée, pilote automatique en alarme, le spi s’enroule sur l’étai de foc. Belle bagarre avec le vent pour affaler le spi, le pignon de liaison entre la barre et le moteur du pilote à sauter. JL le remets en place et c’est reparti. Deuxième avarie, le générateur refuse de démarrer, on ne pourra pas faire tourner le déssalanisateur pour produire de l’eau douce. Agréables soirées avec l’excellente pichade d’Elizabeth, vent faible on reste sous voile, Fr prends son quart de 5h30 à 8h elle est émerveillée par le levée du soleil sur la grande ile Canarienne de Tenerife.
Lundi 20 octobre : Cela fait un mois que nous avons largué les amarres, Fr est un peu cafardeuse. Arrivée mouvementé au port de Santa Cruz, un fort coup de vent nous plaque contre la rangée de voiliers amarrés au ponton, notre balcon arrière accroche un autre bateau. L’antenne de la balise de tracking est cassée, ce qui explique que notre position sur le site RIDS n’était plus mise à jour. Le reste de l’après midi se passe en réparation diverses. Fr et El vont en reconnaissance en ville.
Repères historiques : Avant la conquête espagnole les Iles Canaries étaient habitées par les Guanches, berbères originaires du nord-ouest de l’Afrique, venus entre -3000 et +1000ans. Connues dès l’antiquité les Canaries restèrent oubliées du monde chrétien jusqu'à la fin du 13° siècle, date à laquelle les navigateurs génois, portugais et catalans commencèrent à parcourir ses eaux. En 1312 le génois Lancelot Maloisel débarque sur Lanzarote. La conquête ne débutera qu’en 1402 quand un français Jean de Béthencourt en compagnie du Castillan Gadifer de la Salle, annexe Lanzarote au royaume de Castille. Il fait reconnaître son titre de souverain des Canaries par Henri III roi de Castille. Par la suite les portugais disputèrent en vain les iles aux Castillans qui étendirent leurs conquêtes en 1445. Dès lors les espagnols se tournèrent vers l’Amérique et c’est depuis les Canaries que Christophe Colomb s’élança vers l’ouest en 1492. Au 16° et 17° de nombreux pirates ou corsaires sont attirés par l’économie florissante (Canne à sucre et vignes) des iles et le passage des galions ramenant l’or du nouveau monde. Eruption volcanique violente à Lanzarote en 1730, 1736 et 1824. En 1797 l’amiral Nelson a son bras droit emporté par un boulet en voulant prendre Santa Cruz de Tenerife. 1852 les iles obtiennent le statut de port franc et sont deux provinces espagnoles en 1927. En 1936 Franco gouverneur militaire des iles prépare l’invasion de l’Espagne depuis le Maroc. 1982, sous la monarchie constitutionnelle de Juan Carlos 1er les Canaries deviennent l’une des communautés autonomes d’Espagne. Avec 200 habitants au km2 les Canaries comptent 1,5 millions d’habitants dont 350 000 à Santa Cruz.
Mardi 21 octobre : Le matin grand marché Mercado Nuestra Senora de Africa, milles saveurs et odeurs, on se rapproche de l’Afrique, fruits, fleurs, fromages, épices, fruits secs, de plus les Canariens sont sympathiques. Après-midi chez Carrefour, gigantesque hypermarché, on y trouve tout ce que l’on veut, mais pratiquement pas de produit de marque française, seul les produits laitiers Présidents et les alcools de Marie-Brisard et Cointreau. La vie sociale entre les bateaux du Rallye s’organise, nous prenons un pot chez JJ et MC navigant sur Tao un Alliage 44, nous invitons pour le désert nos voisins de ponton, 4 hommes que nous appelons les 3 mousquetaires, des Jurassiens anciens cimentiers, aujourd’hui sur l’Océanis 423 de Dominique.
Mercredi 22 octobre : Départ en excursion en bus à 9h avec le groupe du Rallye pour la Caldera (cratère) de Las Canadas (les vallons) formé il y a 1,5 millions d’années, de 17km de diamètre et à 2100 m d’altitude, aujourd’hui parc national très protégé et contrôlé. Au centre, le Teide, ensemble de plusieurs volcans dont le pic du Teide culmine à 3718 m. Paysage constitué d’une grande diversité géologique obsidiennes, basaltes, soufres qui donnent un paysage aux couleurs riche et intense, avec des sables jaunes et des scories volcaniques et des formations rougeâtres et noires de coulées de lave solidifiées. C’est aussi un paradis végétal avec des espèces uniques qui fleurissent au printemps. Nous y accédons par le mont de l’Espérance, ou pousse le typique et fameux pin des Canariens avec ses longues et fines aiguilles qui retiennent l’humidité des alizés et dont le bois à servi à la construction des beaux balcons de bois. La température descend très rapidement en montant de 25°C à 10°C. Retour par la côte nord en passant par Puerto de la Cruz et la Oratava, au fur et à mesure que nous redescendons nous passons successivement du climat de haute montagne, à celui de montagne, puis méditerranéen, subtropical et enfin sur la côte tropical. En fin de journée Carrefour nous livre notre avitaillement et nous commençons une parie de Légo pour ranger ces provisions dans les différents coffres et soutes.
Dîner à bord, avec un bocal stérilisé de daube de bœuf, fait a l’avance cet été par El. et Fr dans le but de s’assurer de leur qualité, ils seront utilisés pour la traversée. Test concluant, rassurez-vous, nous seront bien nourrie.
Jeudi 23 : Escapade en taxi FR et Th pour visiter l’ancienne capitale San Cristobal de la Laguna située à 8km de Santa Cruz et 500 m d’altitude. Cette ville classée au patrimoine mondiale de l’humanité a été ainsi sanctuarisée. Peu de touriste, si ce n’est quelques espagnols, pas de boutique de toutou. Nombreux palais du 16° au 18° de style colonial espagnol, des galeries balcons ouvragées en bois sur les façades et les patios, style arabe, genre moucharabié. Patios fleuris, avec bassins d’eau et céramiques sur les murs. Façades très colorées dans les jaunes et les bleus. Retour au Real Club Nautique pour le briefing skipper de la prochaine étape, la météo donne vent force 5 à 6 nord-est mer agitée à forte, consigne de sécurité, mise en garde par rapport aux bateaux d’immigrants au départ de Mauritanie à destination des Canaries et des pécheurs africains en pirogue non éclairée de nuit que nous risquons de croiser sur notre route et que nous devons signaler aux autorités (3 bateaux de la communauté Européenne contrôle la zone). Définition des vacations quotidiennes sur VHF et/ou BLU. Pot dînatoire sympathique, où je fais la re-connaissance d’Anick Simon qui était avec nous en 1956 à Diego-Suarez, elle était dans la même classe que mon frère Geoffroy, son père commissaire de marine, ils y sont restés 7 ans. Actuellement elle est équipière avec son marie officier de marine sur le Catamaran Tiva’U de Jean-Pierre et Françoise, un Outremer 45.
Vendredi 24 : les départ pour Dakar (840 mn) sont échelonnés en 3 groupes, nous faisons partie du 1er groupe programmé pour 9h, les autres partiront l’après-midi et le dernier groupe le lendemain matin. Nous partons en tête avec deux autres bateaux TAO l’alliage 44 et Nikiti II un Ovni 435 de François et Catherine. Bavardage sur la VHF, signalement des bateaux croisés, information sur les résultats de pêche à la traîne qui sont nuls. A la tombé de la nuit, 7h30 maintenant nous rentrons le spi. Nous passons en heure TU.
Samedi 25 : Mer agité à forte comme prévu, vent force 6, grand largue Le pignon du pilote saute de nouveau et naturellement lorsque nous étions sous spi, panique à bord, sans gravité. Nouvelle réparation qui devrait tenir cette fois. Toujours rien au bout des 2 lignes de traîne, cela devient désespérant. Je fais les quarts avec une carte du ciel, découverte de Sirius, la constellation d’Orion est au-dessus de notre tête, j’attends avec impatiente la croix du sud.
Cela me rappelle les veillées aux Aigladines en été dans les Cévennes avec tous mes frères et mon père, où nous identifions les constellations, grâce à une carte du ciel que j’avais ramené de Londres.
Dimanche 26 : Conditions de navigation identiques, 175 milles par jour, apparemment nous sommes toujours devant le reste de la troupe. La nuit le vent et la mer forcissent, nous prenons un ris et réduisons la surface du génois. Au fait je ne vous ai pas donné mon avis sur la dégustation des vins portugais, la voici les vins du Douro (la région de Porto) été très décevant, plutôt durs et court en bouche, par contre j’ai bien apprécié les vins du sud d’Alentejo blanc comme rouge, quoique jeune doux et très aromatique, parmi ceux-ci le Monte Velho blanc et rouge, et surtout le Chaminé blanc.
Lundi 27 : Baisse de performance nous ne ferons que 150 milles. Hourrah, un poisson est au accroché bout de la ligne, c’est une dorade coryphène de petite taille. Elle est immédiatement transformée en filet, nous la mangerons ce soir cuite à la tahitienne, citron vert et lait de coco, un délice. Emotion pour Fr cette nuit pendant son quart, la très forte houle décroche le pilote automatique, le bateau empanne, sans gravité grâce au frein de bôme, mais part immédiatement au lof sur l’autre amure, dans le carré et les cabines tout se casse la gueule…Tout le monde sur le pont la situation est rétabli, prise du 2eme ris et réduction du génois.
Mardi 28 : Nuit difficile, j’ai vraiment du mal à dormir quand il y a de la houle et que l’on roule dans la couchette. Bon vent force 5 à 7, sous spi jusqu'à 6. La température extérieure monte et l’humidité aussi, c’est l’Afrique. Deuxième prise sur la ligne de traine, une dorade coryphène d’au moins 7 kilo, c’est un poisson magnifique de couleur jaune dorée avec des taches bleues turquoise. Les repas sont assurés. De nuit la visibilité est faible à cause de l’humidité de l’air et l’absence de lune qui se lève vers 5h. Ce soir pendant mon car je finirai le 1er volume de l’histoire de France pour les nuls, des origines à 1789.
Mercredi 29 : Bonne nuit peut-être grâce au ronron du moteur (pas de vent), mais surtout à l’état calme de la mer. Nous sommes à 40 milles de Dakar, le Sun Magic 44 Sirius est devant nous à quelques milles, tous les autres sont assez loin derrière. Une visite, un pécheur Sénégalais dans une superbe pirogue, nous échangeons quelques mots et il repart pécher avec une grande bouteille d’eau bien fraîche. Cela nous a fait la même impression que lorsqu’en plein désert une personne surgit de nulle part et disparaît après quelques échanges. Il est 13h30 et nous apercevons deux petits mamelons sur babord ceux les Mamelles de Dakar sur la presqu’il du cap vert, situées à 12 milles de nous.